Lettre à Danielle Wallers

Francis Bérezné
Bourg de tourneville
50660 ANNOVILLE
0233479260                Tourneville le 7 octobre 2005

 

Chère Danielle Wallers,

Excusez-moi d’avoir laissé traîner les choses. Il me manquait du matériel informatique. Voici des reproductions de travaux, depuis 1989 jusqu’à aujourd’hui, dans un ordre à peu près chronologique. Les plus récents sont les trois autoportraits, dits noirs sur noir. Vous trouverez la technique, les dimensions, le titre, quand il y en a un, au verso. L’ensemble donne un aperçu de ce que j’aimerais montrer dans vos salles d’exposition. Les manières de peindre, les visages en particulier, que j’ai expérimentées depuis plus de vingt ans, s’y trouvent représentées, pour l’essentiel. Je n’ai jamais su à m’en tenir à un seul procédé, parce que je ne veux pas me priver, et parce que j’ai l’humeur plutôt vagabonde. Je dirai volontiers, pour mal citer Henri Michaux, dès qu’une manière me réussit, je cherche ailleurs.

Quelques remarques…

Presque tous ces travaux ont été réalisés à partir de photographies que j’ai prises. Elles ne sont que la première étape de mon travail, même si elles peuvent se suffire à elles-mêmes. C’est le cas des autoportraits avec une main, une série de polaroïds qui date de 2000, que je n’ai pas fini d’exploiter, et des autoportraits dans un bol de café, une autre série qui s’amorce cette année, une première dans l’histoire de l’art, je le dis en passant, à moitié comme une plaisanterie, à moitié sérieusement. Même s’il ne reste pas grand chose de ma production, j’aurai du moins fait, avec ces peintures, une petite vague à la surface de la fontaine Narcissique. Mais l’autoportrait déborde, à mon avis, le cadre très circonstancié de la légende de Narcisse, et en retour, le portrait est aussi pour partie un désir de se peindre. Passons.

Comme vous pourrez le voir, même avec de médiocres reproductions, plus on remonte dans le passé, plus mes travaux relèvent de ce que Dubuffet appelle l’art brut, une de ses inventions, pas la meilleure, je le crains. Je ne renie pas ces travaux anciens, qui accompagnent mes recherches présentes. Le même esprit m’anime, de révolte sûrement, d’audace je l’espère, d’invention, pourquoi pas ? et certains soucis du temps où j’étais fou, problèmes existentielles et plastiques, continuent de se frayer leur petit bonhomme de chemin dans ma vie, comme dans ma peinture, tant bien que mal. Ils prennent seulement des aspects variés, d’un jour à l’autre, pour mieux m’apparaître, et se clarifier sans doute. Fort heureusement, je n’en viendrai jamais à bout. Voilà en gros ce que je veux montrer, bien sûr pas démontrer…

Comme je vous l’ai déjà dit, j’aimerais présenter ces travaux avec des textes, du moins des mots, des phrases. Cela me plairait. A la fois parce que ça fait contemporain (même si les mots et les images ont une vieille histoire en commun), mais aussi parce que de plus en plus souvent mes idée se matérialisent d’abord au moyen des mots, pour devenir ensuite image, comme si de les nommer les rendait possible. Ceux qui travaillent avec des autistes, ça m’est arrivé une ou deux fois en amateur, en savent probablement long sur la nécessité du langage pour représenter le monde. Les singes se servent d’outils, ils ont la main qu’il faut pour ça, mais ne parlent pas, ne dessinent pas non plus, que je sache, je veux dire sans notre intervention. Loin de moi la pensée que les autistes seraient des animaux, mais le défaut de langage semble, oui, s’accompagner d’une impossibilité à figurer. Je vous raconte ça, parce que le silence de la peinture et le bavardage des mots, quand on peint, quand on écrit, ou quand on fait les deux, ça ne cesse pas de gripper, d’emballer aussi la machine.  Je voudrais que cette affinité et cette irréductibilité des mots et des images transparaissent dans leur juxtaposition, dont je n’ai encore qu’une idée très floue.

Voilà, chère directrice, chère Danielle, ce que j’avais à vous dire, pour le moment, au sujet d’une éventuelle exposition au centre d’art de Clamart. Puisque vous connaissez déjà certains de mes travaux, vous ne serez pas trop troublée, ou trompée par la mauvaise qualité des reproductions. Décue tout au plus. En dehors de très réelles difficultés économiques, j’ai une véritable aversion pour les dossiers, à mon goût les choses les plus vaines, et les plus mensongères du monde.

Une toute dernière chose avant la prochaine lettre, si vous le permettez. Le titre que j’imagine pour une telle exposition : Catalogue Déraisonné.

Amicalement,
Francis.