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Sur l’amitié en psychiatrie

(Colloque Utopsie)

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Je voudrais vous parler, brièvement, de l’amitié dans les institutions psychiatriques. En particulier de l’amitié entre soignant et soigné. Evidemment, ça semble au premier abord loin des problèmes qui s’imposent à nous aujourd’hui, la repression, la regression sécuritaire. Mais l’amitié, c’est aussi une façon d’y résister. En ce qui me concerne, je l’ai rencontrée comme patient dans des lieux de soin où se pratique la psychothérapie institutionnelle. Ca ne veut pas dire qu’elle n’existe que là, mais il y a certaines raisons qui font qu’une amitié peut se nouer plus facilement entre un soignant et un soigné dans ce genre d’institution.Je vais vous raconter comment ça s’est passé. A La Borde dans les années 70, et dans un foyer de post-cure parisien, le foyer Capitant dans les années 90, j’ai rencontré un ou plusieurs soignants dont je suis devenu l’ami, et avec qui j’ai gardé des relations amicales, jusqu’à ce jour. A La Borde, c’est à l’occasion d’un travail mené par des gens du CERFI, un collectif de chercheurs rassemblés autour de Félix Guattari, que je me suis lié d’amitié avec des moniteurs qui travaillaient au bureau économique. Mais à La Borde, travailler ici ou là, au bureau économique ou à la cuisine, ou à la ferme, ou à la buanderie, c’est participer pleinement aux soins. Toujours est-il que j’ai proposé, ou qu’on m’a demandé, je ne sais plus, d’illustrer le livre qu’ils écrivaient sur La Borde, qui a été publié trois ans plus tard, en 1976. Ca s’appelle : Histoires de La Borde. C’est donc autour d’un travail que ce sont nouées ces amitiés, et surtout l’une d’entre elles, avec un moniteur qui faisait directement partie du collectif qui écrivait cette histoire de La Borde, un jeune philosophe qui est devenu plus tard metteur en scène d’opéra, et directeur d’un théâtre.Cette amitié s’est précisée le jour où j’ai été invité à diner, un soir, avec ces moniteurs et avec d’autres, dans leur maison de campagne à quelques kilomètres de la clinique. Ils voulaient que je parle de ces illustrations. Ils m’ont donc offert l’hospitalité, le temps d’une soirée, même si je n’ai pas dormi sur place, parce que mon statut de pensionnaire m’obligeait, sécurité sociale et assurances aidant, à dormir à La Borde. A partir de là je les ai beaucoup fréquenté, surtout à Paris. J’ai fréquenté le siège du CERFI jusqu’en 1981, pour les voir, pour y écrire, pour y dessiner, également pour y manger. A l’époque j’étais sans le sou, et presque sans toit. J’ai retrouvé ces amis vingt ans plus tard, quand les choses sont allées mieux pour moi. C’était important pour moi cette hospitalité en marge de l’institution hospitalière. Ca me donnait du recul par rapport à la clinique, de la distance par rapport aux soins, un point de vue extérieur. C’était pour moi un espace démédicalisé, mais pas sans lien avec la psychiatrie et ses institutions. Ce que j’en ai fait dans l’immédiat, c’est une autre histoire. En vérité ça m’a amené à fuir La Borde, à ne plus m’y faire soigner. Mais ça ne tient pas tant à mes amis du CERFI eux-mêmes, qu’à une série de contre-sens, qu’à une conduite de rupture, de fuite et d’échec. En tout cas ce que j’ai vécu au CERFI me permet aujourd’hui de comprendre certains problèmes institutionnels, me permet aussi d’entretenir plus ou moins étroitement ces amitiés.La même chose s’est produite au foyer Capitant. Parce que je voulais préparer une agrégation d’arts plastiques, un infirmier, que j’aimais bien, m’a invité à déjeuner chez lui, avec un de ses enfants et avec sa femme, qui est professeur d’arts plastiques dans un collège. Elle m’a parlé de son travail, m’a invité à un de ses cours. A l’époque, je ne dormais plus au foyer, mais j’y venais deux trois fois par semaine pour y rencontrer un médecin et une psychologue, pour y diner aussi, histoire de faire la transition entre un domicile personnel et le foyer. Cet infirmier avait été mon référent pendant mon séjour, et nous nous entendions très bien. Après cette invitation, nous sommes devenus peu à peu des amis. Nous nous voyons aujourd’hui très souvent, et nous continuons d’avoir de longues conversations sur la folie, sur ses institutions.

L’amitié, est-ce que ça marche ? Dans les années 70, les gens que je voyais, que j’aimais bien, étaient tous un peu fous, et révolutionnaire chacun à sa façon. Il y a eu beaucoup de bleus à l’âme, et mes amitiés de l’époque n’ont pas permis que ça aille mieux pour moi, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais dans les années 90, nous nous étions tous posés quelque part, d’une façon ou d’une autre, même si nous n’avions pas renoncé à nos idées, à nos engagements, et cette amitié avec cet infirmier a été essentielle dans mon retour à la raison. Je dois dire que mes copains du CERFI n’étaient pas des professionnels de la santé mentale. La psychiatrie n’était pas leur métier, ils ne pouvaient pas vraiment remédier à ma folie, sinon en me disant d’aller me faire soigner à La Borde, ce que je ne voulais plus ; alors que mon copain de Capitant, infirmier psychiatrique, sait des tas de choses sur la folie et sur la raison, sur les médicaments et sur les médecins, sur les hôpitaux et sur les traitements, qui m’ont été fort utiles dans les moments difficiles. Et puis dans les années 90, je n’avais plus vraiment le choix ; je ne pouvais plus m’offrir d’errer sans cesse, il fallait que j’aménage ma folie, que je la rende vivable, et avec une AAH j’en avais enfin les moyens économiques.Mais il ne s’agit pas seulement de savoir si l’amitié donne de bons résultats. Il y a des lieux où l’on veut éviter à tout prix les conflits, quels qu’ils soient. De la même façon, il y a des lieux où l’on veut éviter à tout prix l’amitié entre soignant et soigné, et j’ajouterai, éviter l’amitié même entre soignés. Le devenir d’une amitié, si elle va se montrer bénéfique ou pas, personne ne peut le dire, qu’on soit fou ou pas. Mais exclure l’amitié, à priori, pour les fous comme pour ceux qui ne le sont pas, c’est absurde.

 Qu’est-ce que je veux dire par amitié ? Essentiellement offrir l’hospitalité. On invite ses amis chez soi, à manger, à dormir, ou les deux. Je ne dirai pas que c’est toujours comme ça, mais ça y ressemble. Ces gens, dont je suis devenu l’ami, m’ont invité chez eux, ensuite je les ai invité chez moi, quand j’ai eu un chez moi. Ca ne m’est jamais arrivé dans les lieux de soin que j’ai connus où se pratique une psychiatrie traditionnelle. J’ai pu y apprendre, y travailler, mais je n’y ai jamais rencontré d’amis parmi les soignants. Ni vraiment parmi les soignés, même si je me sentais proche de certains d’entre eux. Je ne pense pas que ce soit seulement une affaire d’atomes crochus. J’ai fréquenté un atelier thérapeutique à Paris, à la fin des années 80 et au début des années 90, où j’ai beaucoup dessiné, peint, écrit, et filmé. Il y avait un éducateur, quelqu’un de bien. Nous avions des tas d’activités et d’intérêts en commun. Nous allions dans la même université, lui pour devenir psychologue, moi pour y étudier les lettres modernes. Il m’a aidé à faire ma première exposition, il est venu ensuite à certains de mes vernissages, mais jamais il ne m’a invité chez lui. Nous avions de l’estime l’un pour l’autre, mais nous n’étions pas amis. Ses théories, ou sa déontologie, ou je ne sais quoi, s’y opposait. Nous communiquions, nous échangions, mais nous ne partagions pas. Car dans cet atelier thérapeutique, il me semble que la distance habituelle et comme naturelle entre un médecin et son patient était généralisée à toute l’équipe soignante, de l’ergothérapeute à la cuisinière, de l’éducateur à l’infirmière, du psychologue à la secrétaire. Du métier, du respect, de l’estime éventuellement, mais pas d’amitié.Avec mes amis du CERFI je partageais, avec mon ami infirmier je partage. En ce qui le concerne, il s’en est expliqué à propos du délire. Il ne s’agit pas tant, dit-il, de raisonner sur le délire, quand on est infirmier, vivant avec les fous au quotidien. Il ne s’agit pas d’expliquer à un fou son délire par du papa ou de la maman, ou par tout autre cause raisonnante qui risque finalement de l’aggraver, mais de le partager, de faire sentir à celui qui délire, que son délire ne vous est pas étranger. En partageant le délire de cette façon, on l’apaise. Ce n’est pas le conforter, ou y céder, c’est faire entendre à celui qui délire que la raison ne lui est pas étrangère. Et partager comme ça ne s’apprend pas dans les livres, ça vient du sentiment pour un soignant que la folie ne lui est pas étrangère. Or vraiment, il n’y a que dans les lieux de soin où se pratique la psychothérapie institutionnelle que j’ai rencontré une ambiance où les soignants étaient sérieusement invités à ne pas regarder mon délire comme un machin qui leur était totalement étranger, totalement extérieur, avec lequel ils n’avaient rien de commun, pur objet d’étude et d’interprétation, pur objet de connaissance. Que certains, même dans les endroits ouverts de la psychothérapie institutionnelle, ne répondent pas à cette invitation, c’est sûr, mais dans l’ensemble on voulait bien ne pas élever trop haut un mur entre eux et moi. Or c’est sur la base du partage qu’une amitié devient possible, et en ce qui me concerne qu’une forme de guérison, d’aménagement de ma folie, est devenue possible.

utopsy2D’ailleurs la psychothérapie institutionnelle ne considère pas qu’il y a d’un coté les soignants, de l’autre les soignés. Elle considère qu’un soigné peut faire fonction de soignant, le plus souvent à l’égard d’autres soignés, par la parole, par les activités, par les gestes de la vie quotidienne, mais aussi, théoriquement, à l’égard d’un soignant. Quand on est fou, et soigné comme tel, on a l’impression de temps en temps qu’on fait plus de bien aux soignants qu’ils ne vous en font. On a même parfois l’impression que certains ne vous soignent que pour se guérir de leur folie. A La Borde comme à Capitant, la limite entre soignant et soigné pouvant s’amenuiser jusqu’à presque disparaître ici ou là, une amitié hors l’institution devient possible, une hospitalité, non hospitalière, devient possible entre soignant et soigné, et bien évidemment entre soignés. Il faut dire que certaines autorités La Bordiennes ne voyaient pas d’un très bon œil mes amitiés. Elles pensaient sans doute que ça représentait un danger pour moi. Dans l’immédiat, et surtout à moyen terme, elles avaient raison, mais au bout du compte elles ont eu tort. Et puis, n’est-ce pas, on ne va pas toujours éviter, ou empêcher, ou interdire le vin et les amis, à moins de tenir sur la folie le discours de Nicolas Sarkozy et compagnie. Je le dis d’autant plus volontiers que je ne bois du  vin qu’avec mes amis.Je veux quand même préciser qu’il ne s’agit pas d’être copain à tout prix, ou d’inviter n’importe qui chez soi, histoire de se faire plaisir, ni que la psychothérapie institutionnelle se réduit à la possibilité d’une amitié. Ce n’est qu’un aspect parmi beaucoup d’autres dispositifs, que ceux qui inventent la psychothérapie institutionnelle, et qui l’inventent avec les patients, vous expliqueraient mieux que moi. Car je n’envisage tous ces problèmes que du point de vue d’un ancien patient qui continue de s’intéresser à la folie et à ses institutions. Il y a nécessairement beaucoup de choses qui m’échappent. J’ai envie de dire qu’il en va de même du point de vue des soignants : il y a nécessairement beaucoup de choses qui leur échappent, même s’ils essayent de se mettre à la place des soignés. Mais les places de soignant et de soignés ne sont pas échangeables. Elles sont parfois partageables, à mon avis sur la base de l’amitié. Ca implique la dimension de l’hospitalité, ou du moins, si l’on ne sort pas du cadre de l’institution, la dimension de l’accueil.

Ces amitiés se sont nouées spontanément, je le répète, autour d’un travail, d’une activité, d’un intérêt commun, avec des atomes très crochus. Pas sur la base d’une simple curiosité. Considérée dans sa dimension thérapeutique, comme toute relation thérapeutique elle ne va pas sans difficultés, sans des hauts et des bas, sans des affects et sans des risques. Sans échouer ou réussir. Cependant je remercie ma psychiatre d’avoir toujours évité les relations sociales entre nous, gardant intacte sa neutralité, ses distances, malgré mon désir de mettre parfois notre relation en danger, comme j’ai pu le lui dire. Je comprends qu’il ne puisse pas y avoir d’amitié entre nous. Il y a des raisons théoriques, professionnelles, personnelles, pour qu’il en soit ainsi. Toutefois il y a entre nous un peu plus que de l’estime, c’est à dire que je ne la considère pas seulement comme un bon médecin. Je crois que ça tient pour beaucoup à ce qu’elle me reçoit à son cabinet en ville, car les maisons ressemblent à ceux qui les habitent, alors qu’un dispensaire est un lieu parfaitement anonyme. Pas une amitié donc, parce que je ne vis rien, je n’ai rien à vivre au quotidien avec elle, mais quelque chose de l’hospitalité. Il n’en va pas de même avec les membres d’une équipe soignante. Autant on peut accepter de n’avoir avec un médecin que des relations de soin, autant il est frustrant de penser que l’on n’aura jamais de relation amicale avec quelqu’un d’une équipe soignante, quelqu’un qu’on voit au quotidien, dans beaucoup de circonstances de la vie quotidienne, pour la seule raison qu’il fait partie de l’équipe soignante. A La Borde, où les médecins vivent des relations au quotidien avec les pensionnaires, j’ai pu venir dans la maison du médecin qui s’occupait de moi. Est-ce un bien ou un mal, à mon avis ce n’est pas seulement le nœud du problème. Voilà je l’espère, matière à réflexion pour résister à la folie sécuritaire.

Portrait d’un portraitiste

(titre de G. Bérezné)portrait

2005 (ou 2006)  – 3 heures
Images de Michel Carmantrand

En 2005 ou 2006 Michel Carmantrand rend visite à Francis à Annoville, en compagnie de son ami Franck Neumann, un artiste allemand. Celui-ci assume le rôle du « journaliste » sur le tournage en tentant de faire en sorte que Francis se positionne  relativement au monde de l’art contemporain, esthétiquement parlant.

La personne accompagnée de l’enfant et qui assume le rôle de l’interprète est Anna Steinbach, cinéaste documentaire, une amie commune de Francis, Michel Carmantrand et Franck Neumann.

Michel Carmantrand est privé de caméra après trois jours de tournage et ne peut donc mener à bien son projet, dont il reste trois heures de rushes.

Nous en avons tiré cet extrait.

Dans le miroir

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Présentation de Jean-Paul Kitchener

Dans le miroir d’un bol de café, d’une duré de 26 minutes, a été réalisé par Gérald Dumour pour le coffret  MIKVE*  édité et produit  par La Joconde et  Les ateliers de la vis sans fin.

Les trois premiers extraits illustrent le processus de création de Francis Bérezné pour ses autoportraits dans le miroir d’un bol de café.

Dans le quatrième extrait, devant un dessin inspiré d’un autoportrait dans le miroir d’un bol de café, qu’il a rehaussé au pastel gras et à l’huile, l’artiste nous instruit du face à face du peintre avec lui-même.

Dans le miroir d’un bol de café – 26 minutes 06 secondes – @ Les ateliers de la vis sans fin – 2007 – Réalisation : Gérald Dumour – Texte de Francis Bérezné- – Image, sons : Gérald Dumour – Montage : Anne Guérin-Castel (RDFR) – Miixage : Sophie Bommart

Affaires d’État

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Présentation, par Pierre Borker

Ce film constitue le premier épisode d’une trilogie de fictions (Contes Politiques), qui se propose de réfléchir, à travers quelques situations historiques, à la représentation de la politique à l’écran.

Affaires d’État, le premier volet, relate un épisode français situé au dix-huitième siècle.

En 1752, Louis XV crée le premier service secret moderne. Plusieurs années après, les témoins de cette affaire se souviennent. Interprété par Michel Jobert (ancien ministre des Affaires étrangères de Giscard et Mitterrand), Alexandre Adler (historien et analyste politique), Pierre-André Boutang (producteur à ARTE), Francis Bérézné (peintre et écrivain), Gilles Perrault (historien), et Nina Companeez (réalisatrice) avec la voix de Michael Lonsdale, le film met en scène la parole du pouvoir, confrontée à un dispositif fictionnel qui emprunte aux procédés documentaires.

Tous ces « acteurs » non professionnels ont été choisis sur un seul critère : leur apparence et leur diction ordinaires. Francis m’a immédiatement convaincu sur ce point et il est très à l’aise  dans le rôle difficile du Chevalier d’Eon.

2000 – 45 minutes
Réalisation et dialogues : Pierre Borker
Image : Erwin Huppert et Thierry Maisonnave
Son : Marc Nouyrigat
Montage : Jocelyne Ruiz
Produit avec le concours du « groupe de recherches et d’essais cinématographiques ».

Comment dire (à propos d’Anna caméra)

anna-cameraFichier du 4 janvier 2010 (Bonus – à propos d’Anna Caméra)

Ce texte fait référence à la vidéo que Francis a tournée en se mettant en scène : Anna Caméra.

Comment dire…

Dans Anna Caméra, l’envie, le besoin de jouer le fou, et le regard caméra trouvent leur origine dans deux épisodes vécus, qui restent pour moi très énigmatiques, parce que mon souvenir est à la fois extrêmement précis, et emprunt de beaucoup d’incertitudes. J’habite dans un foyer psychiatrique, mais je suis tellement délirant et confus qu’on m’hospitalise à Saint-Antoine. Ma psychiatre, que je vois d’habitude à son cabinet, qui travaille aussi à Saint-Antoine, mais pas dans le service où je suis hospitalisé, vient me trouver à l’ergothérapie pour me proposer un truc bizarre : comme je vais trop mal, que je refuse obstinément de participer aux activités, et que je suis incapable de supporter je ne sais plus quoi, j’ai en mémoire le mot diagnostic, elle me propose de parler en sa présence devant une caméra, puis de revoir les images trois jours plus tard, en les commentant avec un autre médecin qu’elle. Il me semble qu’elle se justifie en m’expliquant qu’on saura ainsi beaucoup mieux de quoi je souffre, qu’on pourra me soigner ensuite plus efficacement. Après-coup, je crois plutôt qu’en voulant m’épargner l’épreuve d’une présentation devant un public d’étudiants et de jeunes internes, une comparution qui a été décidée en haut lieu parce que mon cas présente un intérêt, et qui m’aurait achevé, elle a négocié ce dispositif moins violent avec son chef de service. J’accepte donc sa proposition, mais sans savoir ce qui va arriver. Tout d’abord, devant l’objectif de la caméra, je lui parle de mes différents passages à l’acte, autocirconcision, automutilations, avec une brutalité qui me surprend moi-même, d’autant que je lui en parle pour la première fois. Puis quand je vois le film trois jours plus tard, il me semble que le médecin, que je ne connais pas, regarde tout ça avec tant de distance que je me sens obligé de lui rappeler que je dis « je », en parlant de moi, et pas « il ».En fait, il se peut que devant ma personne filmée, j’ai les réactions d’un malade en phase de dissociation, en pleine crise d’identité. Après une quinzaine de jours, la crise étant contenue, je quitte Saint-Antoine, je reviens dans mon foyer, j’oublie cette histoire.

Mais quelques temps après, je fais un truc très bizarre, à mon avis en lien direct avec cette séance de cinéchose. En passant sur la place du Panthéon devant la bibliothèque Sainte-Geneviève, je remarque qu’il se prépare un tournage. Une équipe de cinéma a installé une caméra sur un pied, et commence à poser les rails d’un travelling. Pour une raison que j’ignore, poussé par une nécessité que je ne comprends pas, je me plante devant la caméra, face à l’objectif, et je ne bouge plus. Il y va de ma vie, de mon talent, de mon génie futur, je veux arrêter tout ce cirque, tout ce cinéma, je délire surtout en mélangeant confusément Hitchcok, tel qu’il apparaît en personne au début de ses films, et les autoportraits de Bacon. Toujours est-il que l’équipe de cinéma appelle la police en renfort, parce que je refuse de sortir du champ de la caméra. Heureusement, quand la voiture de police arrive, je ne suis pas pris de panique, j’explique calmement aux policiers que j’étais en chemin pour me rendre à la bibliothèque Sainte-Geneviève, que je l’ai trouvé fermée, et que je me suis arrêté sur ce tournage de film parce que je m’intéresse en général au cinéma. En même temps que je dis « en général », je me vois en général couvert de décorations. Les policiers me font une leçon, me demandent de ne pas recommencer, puis ils me laissent circuler.

Catalogue déraisonné – mémoire de l’hystérie

P-HYST-AVSF-006_nFICHIER DU 10 MAI 2009

Il apparaît, à fréquenter les photographies des femmes enfermées dans le service des hystériques à la Salpétrière, dirigé par Charcot, que ceux qui les soignent veulent classer ces malades, leurs symptômes, leurs crises, comme on classe des plantes dans un herbier. Le photographe porte sur elles un regard de botaniste découvrant un spécimen, ou d’entomologiste épinglant un papillon dans une boîte. Or le résultat est d’une grande beauté, montrant des femmes extraordinairement vivantes, qui souffrent, qui jouissent, qui connaissent des états limites, qui se complaisent parfois à prendre la pose devant l’objectif. J’ai expérimenté ces photographies, le pinceau à la main, pour leur beauté indéniable, parce qu’elles parlent de la condition humaine, du sort fait aux femmes et à la folie en général, mais aussi parce que j’ai été troublé par une réflexion de Gilles Deleuze imaginant ce que serait une clinique de l’esthétique. Selon lui, il y aurait une hystérie de la peinture, en particulier de l’expressionnisme, où la présence massive des formes, des couleurs, des contrastes, toucherait directement les nerfs. francis bérezné 2008

Autobiographie

Je suis né à l’hôpital Beaujon, à Clichy-le-Garenne, un an après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. C’est dire que ma vie est marquée par la joie de vivre qui éclate après ces terribles années, par le désespoir qui naît des horreurs qu’on découvre à ce moment, et par l’angoisse de mes parents, qui ont vécu quatre ans dans la peur.

J’ai commencé à peindre très jeune. La première huile que j’ai faite à onze ans, est une toile qui représente la Sainte-Victoire depuis les terres rouges de Baurecueil, où j’ai passé plusieurs années de suite mes vacances de Pâques.

Devant le goût que je manifeste pour la peinture, et une certaine habileté, mon père m’inscrit à l’atelier des moins de quinze ans au Musée des Arts Décoratifs. Très vite je serai orienté sur l’atelier de modelage, où je fais preuve d’un certain talent. Mais j’aurais voulu continuer à peindre.

Je pratiquerai la sculpture encore longtemps. Comme assistant de Valentine Schlégel, céramiste et sculpteur, comme enseignant aux Beaux-Arts de Paris dans les années soixante-dix. Mais en 72, après une bouffée délirante, je deviens fou. Je veux dire que je connaîtrai vingt ans d’errance, de misère, et d’hospitalisations diverses.

Les choses iront mieux pour moi au début des années 90. Je retrouve un atelier où je reprends mes recherches picturales de façon continue. En même temps je poursuis des études de lettres à l’Université.

En 2003, je m’installe à la campagne, où je vis et je travaille aujourd’hui.

J’ai notamment exposé à l’espace Concept, à Villejuif, dans la galerie Trafic, à Ivry-sur-Seine, et aux ateliers de la vis sans fin, à Sainte-Anne-la-Palud.

J’ai publié quatre livres à La chambre d’échos, entre 1999, et 2006. La mémoire saisie d’un tu, Le dit du brut, La vie vagabonde, et J’entre enfin. Un cinquième est prévu pour 2010.