Fichier du 4 janvier 2010 (Bonus – à propos d’Anna Caméra)
Ce texte fait référence à la vidéo que Francis a tournée en se mettant en scène : Anna Caméra.
Comment dire…
Dans Anna Caméra, l’envie, le besoin de jouer le fou, et le regard caméra trouvent leur origine dans deux épisodes vécus, qui restent pour moi très énigmatiques, parce que mon souvenir est à la fois extrêmement précis, et emprunt de beaucoup d’incertitudes. J’habite dans un foyer psychiatrique, mais je suis tellement délirant et confus qu’on m’hospitalise à Saint-Antoine. Ma psychiatre, que je vois d’habitude à son cabinet, qui travaille aussi à Saint-Antoine, mais pas dans le service où je suis hospitalisé, vient me trouver à l’ergothérapie pour me proposer un truc bizarre : comme je vais trop mal, que je refuse obstinément de participer aux activités, et que je suis incapable de supporter je ne sais plus quoi, j’ai en mémoire le mot diagnostic, elle me propose de parler en sa présence devant une caméra, puis de revoir les images trois jours plus tard, en les commentant avec un autre médecin qu’elle. Il me semble qu’elle se justifie en m’expliquant qu’on saura ainsi beaucoup mieux de quoi je souffre, qu’on pourra me soigner ensuite plus efficacement. Après-coup, je crois plutôt qu’en voulant m’épargner l’épreuve d’une présentation devant un public d’étudiants et de jeunes internes, une comparution qui a été décidée en haut lieu parce que mon cas présente un intérêt, et qui m’aurait achevé, elle a négocié ce dispositif moins violent avec son chef de service. J’accepte donc sa proposition, mais sans savoir ce qui va arriver. Tout d’abord, devant l’objectif de la caméra, je lui parle de mes différents passages à l’acte, autocirconcision, automutilations, avec une brutalité qui me surprend moi-même, d’autant que je lui en parle pour la première fois. Puis quand je vois le film trois jours plus tard, il me semble que le médecin, que je ne connais pas, regarde tout ça avec tant de distance que je me sens obligé de lui rappeler que je dis « je », en parlant de moi, et pas « il ».En fait, il se peut que devant ma personne filmée, j’ai les réactions d’un malade en phase de dissociation, en pleine crise d’identité. Après une quinzaine de jours, la crise étant contenue, je quitte Saint-Antoine, je reviens dans mon foyer, j’oublie cette histoire.
Mais quelques temps après, je fais un truc très bizarre, à mon avis en lien direct avec cette séance de cinéchose. En passant sur la place du Panthéon devant la bibliothèque Sainte-Geneviève, je remarque qu’il se prépare un tournage. Une équipe de cinéma a installé une caméra sur un pied, et commence à poser les rails d’un travelling. Pour une raison que j’ignore, poussé par une nécessité que je ne comprends pas, je me plante devant la caméra, face à l’objectif, et je ne bouge plus. Il y va de ma vie, de mon talent, de mon génie futur, je veux arrêter tout ce cirque, tout ce cinéma, je délire surtout en mélangeant confusément Hitchcok, tel qu’il apparaît en personne au début de ses films, et les autoportraits de Bacon. Toujours est-il que l’équipe de cinéma appelle la police en renfort, parce que je refuse de sortir du champ de la caméra. Heureusement, quand la voiture de police arrive, je ne suis pas pris de panique, j’explique calmement aux policiers que j’étais en chemin pour me rendre à la bibliothèque Sainte-Geneviève, que je l’ai trouvé fermée, et que je me suis arrêté sur ce tournage de film parce que je m’intéresse en général au cinéma. En même temps que je dis « en général », je me vois en général couvert de décorations. Les policiers me font une leçon, me demandent de ne pas recommencer, puis ils me laissent circuler.