Peintures

FICHIER DATÉ DU 4 AVRIL 2005

XAVIER DRONG

Dire, ou peindre comme Xavier Drong, avec autant de naïveté et d’aplomb que la peinture c’est de la merde, au mieux du sexe, n’est pas sans charme. Les formes organiques, étrons violets sur le point d’être expulsés, ou sexes se compénétrant dans des couleurs de bonbons roses, verts et jaunes, ont ceci de fascinant qu’ils ne se peuvent voir dans la réalité à moins de disséquer les corps, ou de considérer qu’on est seulement en présence de légumes, courgettes, aubergines et poivrons jetés en vrac sur la table d’une cuisine. Cette référence aux images anatomiques ambiguë car aussitôt démentie, et le format inhabituel pour ce sujet, les toiles sont plutôt grandes, déplace de façon séduisante la question du corps vers des régions heureuses, mais plus alimentaires que celles qui hantent ses aînés, tourmentés par les horreurs de la guerre, la violence du monde et les angoisses de la sexualité.

CONVERSATION AVEC MON VOISIN

    Mon voisin n’entend pas rien à la peinture, d’ailleurs il a souffert un peu du bruit, pas trop, quand j’ai construit mon atelier. Il a perdu aussi une vue imprenable sur une rangée de peupliers, mais de chez lui on aperçoit encore le haut des frondaisons par dessus mon toit. Tout le monde sait que le manque est le moteur de la création sinon l’angoisse. Pourtant il néglige obstinément l’art, pour déléguer à sa nièce, me raconte-t-il, le soin de représenter le monde. Elle a étudié deux ans à l’école des Beaux Arts, depuis en épousant un pâtissier est devenue pâtissière. Quel magnifique destin pour une artiste que de triturer des pâtes, de glacer du sucre, de monter des pièces. Depuis encore, car elle a été expulsé de sa pâtisserie, les peintres ont toujours de ces galères, elle s’occupe de charolaises, et pour ne pas perdre la main ni s’empêcher de faire valoir ses talents elle décore des bidons de lait. Il faut voir l’enthousiasme de mon voisin quand il me décrit les lignes de fuite qui concourent vers la ferme universelle, qu’elle a sans doute intensément rêvé, reproduite par ses soins sur des objets non moins modernes qu’un urinoir. Elle peint donc ce qu’elle sait, et tout le monde ne peut pas en dire autant. De plus elle ne prend pas trop cher. Combien ? Pas trop cher. J’imagine déjà une formidable exposition, installation de bidons de lait dans les salles immenses de Beaubourg, ou bien un grand tableau, le seuil d’une porte donnant sur un chemin, un champ de blé, quelques corbeaux, et à demi caché par le chambranle, le bidon de lait, son trompe l’oeil paysan. Voila une mise en abîme, une manière de dérision, qui réjouirait plus d’un critique. Mais fort heureusement je n’ai pas vraiment  les moyens de satisfaire mes idées stupides.

EN BOURGOGNE NOUVELLES D’ITALIE

Chez des amis en Bourgogne qui ont là-bas une très belle maison et un jardin qu’il faut voir, je trouvais accrochés au dessus de la cuisinière, puis dans une chambre près de la fenêtre, enfin dans un couloir, quelques petits tableaux, des paysages, des vues de parcs si fraîches, si intelligemment colorées, que j’en faisais la remarque à mon amie. C’est une vue du parc de Sceau me dit-elle, et non d’Italie, comme on pourrait le penser. Je la crus volontiers, mais à y repenser je me dis que seul un Italien ou une Italienne pouvait poser des couleurs de façon aussi intelligible. Les verts étaient si heureusement distribués, et les jaunes, les gris, les bleus, et toutes les couleurs si ressemblantes, qu’on identifiait sans la moindre hésitation les pelouses et les parterres de fleurs, les arbres et les haies, les balustrades, les constructions et les statues. Pour avoir vu une jeune étudiante Italienne travailler à reproduire, à interpréter aussi des peintures anciennes, et qui m’avait étonné par son habileté et son assurance, sa droiture à tout bien signifier le plus simplement du monde, je veux imaginer devant ces petits tableaux d’un jardin de France qu’ils sont de facture italienne. Dans un pays où l’histoire de l’art est une seconde nature, il est normal que le plus modeste des étudiants, la plus naïve des étudiantes, le plus simple artisan sache tenir un pinceau clair et limpide.

ART CONTEMPORAIN

    Je n’ai jamais désespéré de comprendre quelque chose aux fondements de l’art contemporain, C’est France-culture qui m’éclaira, en particulier Nathalie Heinig que je ne connaissais pas, qui voulu bien entretenir les auditeurs un jour de cet art. Elle voit dans l’histoire de l’art une succession de genres, le dernier en date, le genre contemporain consacré à l’expression des limites, venant après celui de l’art moderne tout entier tourné vers la peinture du monde intérieur de l’artiste. Du coup cela me paru lumineux, comme une ouverture enfin sur les productions d’aujourd’hui, je ne dis pas toutes. Et je comprenais que cette démarche était justifiée, l’artiste après ne s’être jamais oublié, comme voyant son monde intérieur en peignant, ses mains qui tiennent le pinceau, ses pieds croisés quand il est assis et l’ombre de ses sourcils quand il doute, s’affranchissant enfin de ces limites. Le voilà qui donne alors à voir des formes précises aux limites tranchées et franches, mais dont les séries pourraient s’étendre dans tous les sens si l’espace de l’art en soi n’était pas compté. La répétition de ces formes et de ces séries, lassante à la longue je n’en démordrai pas, comme un effacement des repères d’espace et de temps, comme le refus de laisser paraître aucune variation d’humeur, aucune perturbation venue du monde intérieur ou même extérieur. Et nous serions, me dis-je un peu de mauvaise foi, revenus au point de départ. Les limites inévitables de ces oeuvres signifiant comme jamais on ne l’avait fait auparavant les limites de l’artiste, et celles de son monde intérieur. Peut-être l’Art contemporain arrive-t-il à un moment où l’homme commence à penser les conditions de sa pensée plus exactement aujourd’hui, entrevoit que cela peut se faire scientifiquement jusqu’à un certain point, et pour mieux voir où se trouve ce point, suppose en préalable une absence de limites. Il y a là un effort que j’apprécie aujourd’hui, dont je vois l’intérêt, dessinant un horizon lointain que je pourrai un jour tenter d’atteindre, si la vie et les événements m’en laissent le temps.

BUREN

Les rayures de Buren et les dessins sur la façade du Dôme de Florence ne sont pas sans rapport, je vais vous dire lequel. Alors que les églises étaient peintes à la Renaissance de fresques sur leurs murs intérieurs, ou décorées de tableaux, l’extérieur était souvent orné de motifs architecturaux géométriques, motifs simples et variés pouvant embrasser l’architecture entière. A voir les colonnes de Buren au Palais Royal, l’alternance des ardoises noires et d’un aggloméré clair façon comblanchien, je me souviens des motifs contrastés du Dôme et d’autres architectures Florentine. Tout le monde sait que les musées sont les églises d’aujourd’hui, et que les installations in situ sont leurs icônes, leurs ornements, leur prolongement, leurs antennes, leur raison d’être, leur justification, s’accommodant parfois sans problème de la vitesse et de l’éphémère, ne durant pas plus longtemps qu’une voiture ou qu’une machines à laver, moins longtemps encore, ne laissant d’eux aucune trace, sinon leurs photos. Voici l’art ne voulant plus rien connaître de l’instinct de durer, intériorisant le dehors, extériorisant le dedans, devenant enfin totalement intelligent de ses problèmes, se confondant aussi avec les solutions. Et pourquoi pas ? Sauf que Beaubourg exhibe en façade son squelette et ses viscères, un peu comme les insectes auxquels on ne peut pas reprocher de ne pas vouloir durer, sauf que les colonnes de Buren sont là pour longtemps et tant mieux.