Le masque de plâtre
L’année suivante, la campagne, le repos, la peinture, les allers-retours aidant, j’allais déjà mieux, j’ai renouvelé cette situation en la modifiant, j’ai souhaité qu’elle me filme en train de réaliser un moulage analogue. Déjà notre tristesse étant beaucoup émoussée, la séance fut moins orageuse, pour elle plus agréable car depuis longtemps voulant revenir derrière une caméra, c’est moi qui me chargerais du moulage. Toutefois j’appréhendais de sentir cette fine, froide, douce humidité entre mes doigts, sur mon visage, yeux, nez, bouche, de savoir cet objectif entre nous, je craignais de provoquer une rupture définitive en la mettant à contribution une fois de plus pour satisfaire à mes lubies. Il n’en fut rien, je me suis plu à recouvrir de plâtre tout mon visage, à m’aveugler peu à peu, le noir complet, plus rien que ma respiration, le chant limpide d’un oiseau dans le jardin, une courte absence dont je savais m’extraire dès que le plâtre aurait durci. En outre, certain qu’elle trouvait son compte à me filmer, qu’elle voyait que je ne voyais plus, de la revoir bientôt, nos regards se retrouvant, se croisant, se reconnaissant, ce tournage inaugura pour moi un autre moment dans notre relation, « quand le lien, me suis-je figuré, qui se défait, est un heureux dénouement ». Ravi par cette forme de renaissance, j’ai emporté mon masque, ma mue, mon âme morte en Normandie, je l’ai accroché par un clou au mur de mon atelier, certain que sa vue quotidienne me permettrait de flirter impunément avec l’image de la mort, une manière comme une autre de me la rendre sympathique. C’est que ne souhaitant plus occulter l’idée de ma mort, ni l’angoisse qu’elle engendre, il fallait sinon m’y préparer comme le faisaient les anciens, du moins l’apprivoiser. Le soir dans mon lit, avant de trouver le sommeil je jouais avec l’idée d’une mort prochaine pour en diminuer les effets. Le bénéfice immédiat d’un tel exercice, c’est que j’ai supporté mes cauchemars, mes nuits difficiles, mes insomnies sans me réfugier comme auparavant dans la prise d’un médicament. Évidemment, excessif comme toujours, je me suis cru déjà mort, ou du moins au seuil de la mort, en tout cas plus tout à fait vivant, et la perspective de finir mes jours indigent dans un hospice, assisté dans une maison de retraite quand on sait comment c’est aujourd’hui, comment ce sera demain de plus en plus, me faisant horreur, j’ai décidé de me pendre avant d’en arriver là, de m’asphyxier, ou tout autre moyen expéditif qui m’enverrait ad patres, qui m’éviterait de durer gâteux, impotent, incontinent sur une chaise roulante, un légume pire qu’un légume à la merci des blouses blanches. Heureusement ces sombres pensées n’ont pas duré trop longtemps.
Carnets d’un retour à la raison, 2007