Le schizo et les langues

Fichier du 25 mai 2009

Le schizo et les langues. Le dossier Wolfson

Ce que raconte et décrit Louis Wolfson résonne vivement en moi, pour avoir connu un épisode psychotique assez semblable, mais qui a duré moins longtemps, et qui n’a pas produit ce livre magnifique, courageux et drôle : Le Schizo et les langues

Les conditions d’écriture sont simples. Wolfson, qui ne fait pas confiance aux psychiatres ni à l’hôpital pour le guérir de sa maladie, en tous cas pour apaiser ses souffrances, fuit l’asile et se réfugie chez sa mère. Mais comme il se sait schizophrène, il décide d’y aller voir de près, par ses propres moyens, à ses risques et périls. L’appartement familial lui offre un espace de vie bien meilleur que celui de l’hôpital. Il peut en faire à sa guise, entrer, sortir, travailler, étudier, écouter de la musique, manger quand il le veut. Mais cet espace n’est pas un territoire sûr, il y est toujours menacé d’une nouvelle hospitalisation. C’est donc une parenthèse, insupportable (les paroles de sa mère le font souffrir atrocement) mais délicieuse aussi ( il est encore libre, il n’a pas à obéir, il n’est toujours pas emmerdé par les soignants) qu’il lui faut faire durer le plus longtemps possible, du mieux possible. Malade de l’anglais de sa mère, malade de l’espace, et malade du temps, pour résister au fait que son temps chez sa mère est compté, il découpe chaque gestes, chaque fait, chaque parole, chaque situation en une multitude d’unités de toutes sortes, de toutes catégories, mais surtout linguistiques, pour parvenir à ne jamais venir à bout de la moindre durée, qui pourra de nouveau être redécoupé en une multitude de petits faits, linguistiques ou sociaux. Des mots dans des mots dans des mots dans des mots. Des mots, (voire des lettres) à l’infini, les uns dans les autres, à la place des autres, pour faire durer infiniment un temps qu’il sait fini. Les temps et les modes que Wolfson utilise de façon sinon inappropriée, du moins de façon très bizarre pour raconter et décrire, pour commenter ses affects, par exemple : imparfait pour le présent, le conditionnel pour l’imparfait, sont significatifs de cette temporalité aporétique, chaotique, douloureuse à vivre.

Pris entièrement en charge par sa mère, mais très désireux de faire quelque chose entre les repas, Wolfson a tout loisir d’écrire ce livre qui a pour ambition de raconter, souvent avec beaucoup d’humour, ses souffrances, comment manger lui cause de vrais problèmes, comment se promener est compliqué, dangereux, humiliant, comment il couche avec une prostituée, mai surtout comment il fuit l’anglais en lui substituant des mots d’une autre langue, voire de plusieurs en même temps, utilisant pour cela les dictionnaires et ses études de phonologie, sur un mode dont on n’a pas fini de parler. Mode délirant, ou pas, le problème reste pour moi entier. De toutes façons un procédé qui, même s’il est fou, est en prise direct avec le travail d’écrire, qui consiste pour beaucoup à savoir corriger son texte, et donc à mettre un mot à la place d’un autre, une lettre à la place d’une autre.

Wolfson doute de la valeur auto-thérapeutique de son travail. Guérir de son horreur de l’anglais, il l’espère, mais il n’est pas sûr d’y arriver. Ce dont il est sûr, avec raison, c’est qu’en explorant sa folie, en la racontant et en la décrivant il fera œuvre médicale, produisant un témoignage irremplaçable sur la schizophrénie, décrite pour la première fois telle qu’elle est vécue et vue de l’intérieur.

Oui, vraiment, je me demande ce que devient ce type d’un talent fou. A-t-il su rendre sa folie vivable ?